Texte de Magma : sujet musiqueLa différence est un cadeau,
il suffit seulement d'en avoir conscience...
Il avait toujours tout ignoré. Un inculte, naïf, prétentieux et moqueur. Peut-être un peu jaloux, aussi…
Il pensait toujours avoir raison, se disait que tout le monde avait les mêmes idées que lui. Et si ce n’était pas le cas, il influençait les gens, ayant même parfois recours au chantage, aux bouderies puériles ou aux menaces.
Au fond, il n’avait jamais été un mauvais garçon. Il était juste immature et incompréhensible. Lunatique, tantôt de glace, tantôt de feu, on ne savait jamais comment le considérer, comment le voir. Il avait des amis mais plus par nécessité que par envie. Il ne voulait pas subir les moqueries des autres. Un pauvre garçon mal dans sa peau. Il se cherchait, ne se trouvait pas. Il voulait un avenir, se forger une personnalité, un nom. Il voulait juste être lui-même.
Jamais il n’avait désiré être un mauvais garçon.
Il se révoltait contre tout et n’importe quoi, comme si en agissant ainsi, en ayant des idées contradictoires à celles de ses camarades, il devenait quelqu’un d’unique. Les discordances entre lui et ses pseudos amis étaient souvent liées aux gouts musicaux de chacun. A cette époque de la vie, on ne quitte pas son MP3 ou son portable. Pour écouter de la musique. Mais pas celle qui fait chanter les cœurs, pas celle qui donne des frissons. Non, on écoute la musique qui nous vrille les tympans, nous abruti et nous donne d’horribles maux de tête.
Il était le seul à ne pas aimer ce genre de musique. « Le rap c’est incompréhensible, le rock c’est du n’importe quoi, la pop c’est niais à vomir et ça fait pitié, autant que le R&B », disait-il souvent. Personne n’était de son avis, tous lui disaient qu’il était un paumé, à côté de la plaque, à côté de la mode. Il en avait marre, mais il assumait. Il restait digne, parce qu’il voulait être unique…
Il se rebellait contre le monde entier. Contre la musique, la scolarisation, les proches, les matières… Rien ni personne ne pourrait un jour adoucir son cœur semblable à une pierre.
Mais...- J’en ai rien à foutre, je vous emmerde !
Il quitta la salle en claquant la porte, avant même que son professeur ne puisse réagir. Jamais il n’avait vu un élève pareil. Jamais il n’avait perçu autant de violence et de douleur à la fois dans seulement quelques mots. Il n’y avait pas besoin d’être voyant ou psychologue pour déduire qu’il n’était pas comme les autres.
Lorsqu’il croisa une surveillante, il prétexta un mal de ventre et fit mine de se diriger à l’infirmerie. Il changea de direction une fois hors de vue de « la pionne » pour filer à grand pas pressés vers la sortie. Il voulait quitter cette école, aller n’importe où, mais ni chez ses parents, ni dans cette ville où il ne se sentait pas à sa place. Il ignorait encore le pourquoi de sa réaction. Il savait qu’il faisait une grave erreur, et la culpabilité commençait à l’étreindre. Tel un spectre glacé aux traits diaboliques. Il frissonna. De froid, de peur, d’incompréhension. Il ne se comprenait pas. Comment les autres pouvaient-ils y arriver ? Il s’en voulait pour ce geste digne d’un gamin de douze ans. Débile, immature et puéril. Comme lui. Pourquoi n’était-il pas comme tout le monde ? Pourquoi se sentait-il obligé d’imposer sa loi, de contredire tout le monde ? Pourquoi ne s’intégrait-il pas sans ça ? Pourqu…
Un son, doux et court parvint jusqu’à lui. Un son suivi de pleins d’autres, tous aussi légers, tantôt courts, tantôt longs. Bientôt, une mélodie d’insinua peu à peu en lui. Et pour la première de la journée, il se sentit bien.
Il se dirigea lentement vers cette envoutante ritournelle d’un pas prudent, presque craintif. Lui qui avait enfreint les quatre-vingt-quinze pour cent des règles du lycée était craintif !
Il arriva en vue d’un bâtiment qui ne lui était pas inconnu. Silencieux et discret comme une ombre, il s’y glissa. La porte était ouverte et au fur et à mesure qu’il avançait, le son devenait de plus en plus fort. Bientôt, il fut en proie à d’agréables frissons de plaisirs et les battements de son cœur devenaient de plus en plus rapides. Il aimait cette sensation de bien-être, il aimait écouter avec attention l’homme responsable de ce sentiment agréable. Assis, seul au milieu d’une vaste pièce, ce dernier n’avais pas vu arriver l’adolescent. Il continuait à jouer. Les notes rompaient le silence au rythme des mouvements des doigts du musicien, mais seul l’écho lui répondait.
Musique.
Douce et mélancolique.
Triste et belle à pleurer…
Une larme roula sur la joue du jeune homme. Cette musique racontait une histoire. Son histoire. Celle d’un pauvre type mal dans sa peau, toujours insatisfait, toujours agressif. Et il avait mal. Mais en même temps, il désirait plus que tout rester là, à écouter ce morceau si beau, porteur d’émotions émouvantes.
Une dernière note résonna dans la pièce, et le musicien pivota sur son siège.
- Que fais-tu là, jeune homme ?
La question était empreinte de curiosité, mais vierge de toute agressivité, de toute crainte. En vérité, le vieil homme paraissait plutôt amusé. Un sourire étira ses lèvres tandis qu’une lueur réjouie brillait dans l’océan de ses yeux.
- Viens.
L’ordre n’en était pas un, mais plutôt une invitation. Le lycéen sourit à son tour, nullement gêné, ni honteux d’avoir montré ses faiblesses. Ou plutôt sa faiblesse.
La musique.
Mais pas n’importe laquelle. Celle qui vous transporte, qui fait battre votre cœur, qui fait danser votre âme. Celle qui lie le monde entier, celle qui est la base même de tous les autres genres musicaux.
Le jeune garçon alla s’assoir aux côtés du vieillard. Le tabouret était large pour deux.
- Vas-y, dit simplement le musicien.
Alors, les doigts du lycéen effleurèrent les touches blanches. Il se souvenait un peu de son cours de musique, celui où sa professeure leur avait montré les différentes notes sur un clavier. Là, il y avait un do. Et ici, un fa. Il appuya sur l’un des morceaux d’ivoire et aussitôt, un son unique s’éleva. Il sourit encore un peu plus. L’excitation l’envahissait et il appuya une nouvelle fois, ailleurs. Peu à peu, il découvrit le clavier, les notes, la partition. Il s’essaya au morceau et à peine avait-il commencé que le vieil homme bienveillant jouait à son tour.
Harmonie parfaite et détresse absolue.
Ce jour là, il apprit ce qu’était la véritable musique. Elle n’était pas nulle, car le piano et tous les autres instruments étaient les compagnons de l’homme, des outils indispensables.
Ce jour là, il prit conscience de l’importance de la musique.
Ce jour là le changea à jamais.
Ce jour là fit enfin de lui quelqu’un d’unique.